J’adore la pataphysique, et je pense qu’on est pataphysiciens dans l’âme.
Définition :
La pataphysique est la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité.
Phrase difficile à digérer, je conçois. Mais si on prend le temps de traduire :
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“La pataphysique est la science des solutions imaginaires” : ici on ne dit pas qu’il s’agit d’une fausse science, mais on entends que c’est la science des hypothèses absurdes ou non réelles.
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‘qui accorde symboliquement’ : on donne de manière figurée, par représentation ou métaphore.
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“aux linéaments ”: Esquisses, contours d’une idée ou d’un objet, structures mentales. Les linéaments sont donc des figures conceptuelles, pas concrètes.
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” les propriétés des objets décrits par leur virtualité.” : objets qui n’existent que comme potentiels, hypothétiques. Des objets pleinement définis, mais qui n’existent qu’en tant qu’idées.
Donc, après traduction : La pataphysique est une science fictive qui traite d’objets imaginaires ou potentiels, en leur attribuant symboliquement les propriétés d’objets réels, même s’ils n’existent que comme idées, contours ou possibilités.
La Pataphysique apparaît dans Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, roman écrit par Alfred Jarry en 1897-1898. (publié à titre posthume en 1911.) On y lit au chapitre VIII la définition écrite plus haut, mais également deux autres définitions :
« La pataphysique sera surtout la science du particulier, quoiqu’on dise qu’il n’y a de science que du général. Elle étudiera les lois qui régissent les exceptions et expliquera l’univers supplémentaire à celui-ci… un univers que l’on peut voir et que peut-être on doit voir à la place du traditionnel » (Jarry, Faustroll, chap. VIII)
Ici, Jarry affirme que la Pataphysique, à l’inverse des sciences traditionnelles, ne cherche pas à unifier le savoir en un système général, mais se consacre aux cas particuliers, aux exceptions, à l’anomalie. Elle propose une autre manière de regarder le monde, un “univers supplémentaire”, parallèle à celui des conventions, des lois et des causalités ordinaires.
à noter que quand Jarry utilise le mot science, il le fait au sens étymologique (du latin scientia, “connaissance”) : il s’agit d’une organisation du savoir, pas nécessairement selon les critères empiriques des sciences modernes.
« La pataphysique est la science de ce qui se surajoute à la métaphysique… s’étendant aussi loin au-delà de celle-ci que celle-ci au-delà de la physique »
Ici Jarry définit la pataphysique comme une super-métaphysique : une discipline qui s’intéresse non pas à l’être ou à l’essence, comme la métaphysique, mais à tout ce qui échappe au système (le virtuel, l’absurde, l’exception, l’imaginaire.)
Principe d’équivalence :
Au début du roman Gestes et opinions du docteur Faustroll, un huissier est envoyé pour saisir les biens du Docteur Faustroll, parce qu’il aurait des dettes. Mais… voici où ça devient pataphysique :
- Le docteur Faustroll est né à 63 ans
- Sa maison est invisible.
- Les objets qu’on vient saisir sont imaginaires, ou totalement surréalistes.
- Et pourtant, l’huissier rédige des procès-verbaux très officiels, comme si tout cela était normal.
- La bibliothèque du Docteur Faustroll, formée de 27 « livres pairs », qu’il considère comme tous égaux en valeur littéraire. (En termes de notoriété, de style…)
Ici nous avons l’illustration du principe d’équivalence sur plusieurs niveau : Déjà, il y a l’exemple de la bibliothèque et ses livres pairs. Puis, de façon plus générale, l’attitude de l’huissier en est aussi un exemple : tout est pris au même degré d’importance, que ce soit un meuble réel ou un objet imaginaire et la langue juridique, normalement rigide et sérieuse, est utilisée ici pour décrire un monde loufoque. Jarry fait une satire de la science, du droit, et des procédures officielles, en montrant qu’elles peuvent être appliquées à des choses totalement absurdes.
A ce propos, le créateur du collège de ‘Pataphysique établissait que toutes choses sont également belles, vraies, sérieuses, et ceci sans ironie :
« Nul n’est plus positif que le pataphysicien : déterminé à tout placer sur le même plan, il est prêt à tout accueillir et cueillir avec même avenance »
La ’Pataphysique refuse aussi l’opposition entre réel et fiction et campe dans l’ambiguïté.
(A suivre, j’ai pas fini)