(1821-1867) Un poète un peu connu à l’air très sympa. Voyez pour preuve ci dessus. Connu principalement pour son recueil Les fleurs du mal. Il considère que la poésie est destinée au beau, et non à la vérité. Il cherche a faire du mal quelque chose d’esthétique, d’où le titre de son recueil où il tente de faire le lien entre le mal et la beauté. Par ce recueil, il émet également une critique du voyeurisme, de la fascination malsaine pour le mal, la souffrance, la mort, l’interdit, la décadence… C’est d’ailleurs le thème qu’aborde son poème liminaire “Au lecteur”. Dans ce poème, Baudelaire montre le mal comme universel, présent en chacun de nous. Il montre que la fascination pour la laideur, le vice et la souffrance n’est pas marginale : elle est au cœur de l’âme humaine. Plutôt que de le fuir, il sublime le mal, en fait une matière poétique pour dire le vrai et le beau. Mais il dénonce aussi l’hypocrisie collective, en s’adressant directement au lecteur, ce “semblable” et “frère”, complice silencieux du mal qu’on fait mine de condamner.
Au lecteur
La sottise, l’erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.
Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.
Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.
C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !
Aux objets répugnants nous trouvons des appas ;
Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.
Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d’une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.
Serré, fourmillant, comme un million d’helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.
Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie,
N’ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie.
Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,
Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde ;
C’est l’Ennui ! - l’oeil chargé d’un pleur involontaire,
Il rêve d’échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
-Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !
Mansfield. TYA fait référence au poème “Le vin de l’assassin” de Baudelaire dans leur chanson “Pour oublier je dors”. Tout comme les paroles de la chanson, ce poème est un monologue dramatique, dans lequel un homme ivre raconte le meurtre de sa femme. C’est la confession froide d’un crime passionnel, racontée sans repentir. Le vin, présenté comme un complice du meurtre, ne suffit pas à effacer le poids de la culpabilité. Dans ce poème, le narrateur a tué sa femme “par amour”, ici, Baudelaire montre le mal qui nait de la passion, et que l’amour peut être une force destructrice liée à la souffrance, aux larmes, aux chaînes.
Le Vin de l'Assassin
Ma femme est morte, je suis libre ! Je puis donc boire tout mon soûl. Lorsque je rentrais sans un sou, Ses cris me déchiraient la fibre.
Autant qu’un roi je suis heureux ; L’air est pur, le ciel admirable… Nous avions un été semblable Lorsque j’en devins amoureux !
L’horrible soif qui me déchire Aurait besoin pour s’assouvir D’autant de vin qu’en peut tenir Son tombeau ; – ce n’est pas peu dire :
Je l’ai jetée au fond d’un puits, Et j’ai même poussé sur elle Tous les pavés de la margelle. – Je l’oublierai si je le puis !
Au nom des serments de tendresse, Dont rien ne peut nous délier, Et pour nous réconcilier Comme au beau temps de notre ivresse,
J’implorai d’elle un rendez-vous, Le soir, sur une route obscure. Elle y vint ! – folle créature ! Nous sommes tous plus ou moins fous !
Elle était encore jolie, Quoique bien fatiguée ! et moi, Je l’aimais trop ! voilà pourquoi Je lui dis : Sors de cette vie !
Nul ne peut me comprendre. Un seul Parmi ces ivrognes stupides Songea-t-il dans ses nuits morbides À faire du vin un linceul ?
Cette crapule invulnérable Comme les machines de fer Jamais, ni l’été ni l’hiver, N’a connu l’amour véritable,
Avec ses noirs enchantements, Son cortège infernal d’alarmes, Ses fioles de poison, ses larmes, Ses bruits de chaîne et d’ossements !
– Me voilà libre et solitaire ! Je serai ce soir ivre mort ; Alors, sans peur et sans remord, Je me coucherai sur la terre,
Et je dormirai comme un chien ! Le chariot aux lourdes roues Chargé de pierres et de boues, Le wagon enragé peut bien
Écraser ma tête coupable Ou me couper par le milieu, Je m’en moque comme de Dieu, Du Diable ou de la Sainte Table !
Le Voyage est le poème qui clôt Les Fleurs du Mal en exposant le “désespoir baudelairien” : L’homme n’est qu’un éternel insatisfait. Que l’on voyage loin ou que l’on reste sur place, l’Ennui, le Mal et la souffrance humaine sont partout. Finalement, la seule évasion possible est la mort, ultime voyage vers l’Inconnu. Le poème est dédicacé à Maxime Du Camp, un écrivain voyageur du XIXe siècle. Il a fait des voyages en orient, il est célèbre pour ses récits de voyage et ami proche de Gustave Flaubert. Il n’était pas ami de Baudelaire, la dédicace est donc peut-être ironique, et constitue ici une critique des écrivains de ce type, qu’il juge trop positifs ou naifs.
C’est un long poème en 8 parties, dont on peut décrire le contenu/ les fonction ainsi :
- I. Élan du départ : le rêve de voyage et d’ailleurs
- II. L’impossibilité de combler le désir : les mirages du monde
- III. Question aux voyageurs : que nous rapportez-vous ?
- IV à VI. Réponse : le monde est partout le même, vide, ennuyant, et laid.
- VII. Le voyage ne change rien. Le véritable ennemi est le temps, qui nous guette et nous rattrape toujours.
- VIII. L’appel à la Mort comme unique délivrance et vrai départ
Le Voyage
À Maxime du Camp
I
Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah! que le monde est grand à la clarté des lampes!
Aux yeux du souvenir que le monde est petit!
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers:
Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme;
D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d’une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.
Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent
D’espace et de lumière et de cieux embrasés;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir; coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!
Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom!
II
Nous imitons, horreur! la toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds; même dans nos sommeils
La Curiosité nous tourmente et nous roule
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.
Singulière fortune où le but se déplace,
Et, n’étant nulle part, peut être n’importe où!
Où l’Homme, dont jamais l’espérance n’est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou!
Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie;
Une voix retentit sur le pont: «Ouvre l’oeil!»
Une voix de la hune, ardente et folle, crie:
«Amour… gloire… bonheur!» Enfer! c’est un écueil!
Chaque îlot signalé par l’homme de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin;
L’Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin.
Ô le pauvre amoureux des pays chimériques!
Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,
Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques
Dont le mirage rend le gouffre plus amer?
Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,
Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis;
Son oeil ensorcelé découvre une Capoue
Partout où la chandelle illumine un taudis.
III
Etonnants voyageurs! quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers!
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile!
Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons.
Dites, qu’avez-vous vu?
IV
«Nous avons vu des astres
Et des flots, nous avons vu des sables aussi;
Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.
La gloire du soleil sur la mer violette,
La gloire des cités dans le soleil couchant,
Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet alléchant.
Les plus riches cités, les plus grands paysages,
Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages.
Et toujours le désir nous rendait soucieux!
— La jouissance ajoute au désir de la force.
Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais,
Cependant que grossit et durcit ton écorce,
Tes branches veulent voir le soleil de plus près!
Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
Que le cyprès? — Pourtant nous avons, avec soin,
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace
Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin!
Nous avons salué des idoles à trompe;
Des trônes constellés de joyaux lumineux;
Des palais ouvragés dont la féerique pompe
Serait pour vos banquiers un rêve ruineux;
Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse;
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,
Et des jongleurs savants que le serpent caresse.»
V
Et puis, et puis encore?
VI
«Ô cerveaux enfantins!
Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l’échelle fatale,
Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché:
La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût;
L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égout;
Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote;
La fête qu’assaisonne et parfume le sang;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant;
Plusieurs religions semblables à la nôtre,
Toutes escaladant le ciel; la Sainteté,
Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
Dans les clous et le crin cherchant la volupté;
L’Humanité bavarde, ivre de son génie,
Et, folle maintenant comme elle était jadis,
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie:
»Ô mon semblable, mon maître, je te maudis!«
Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Et se réfugiant dans l’opium immense!
— Tel est du globe entier l’éternel bulletin.»
VII
Amer savoir, celui qu’on tire du voyage!
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image:
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui!
Faut-il partir? rester? Si tu peux rester, reste;
Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit
Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste,
Le Temps! Il est, hélas! des coureurs sans répit,
Comme le Juif errant et comme les apôtres,
À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme; il en est d’autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.
Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
Nous pourrons espérer et crier: En avant!
De même qu’autrefois nous partions pour la Chine,
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,
Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
Avec le coeur joyeux d’un jeune passager.
Entendez-vous ces voix charmantes et funèbres,
Qui chantent: «Par ici vous qui voulez manger
Le Lotus parfumé! c’est ici qu’on vendange
Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim;
Venez vous enivrer de la douceur étrange
De cette après-midi qui n’a jamais de fin!»
À l’accent familier nous devinons le spectre;
Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.
«Pour rafraîchir ton coeur nage vers ton Electre!»
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.
VIII
Ô Mort, vieux capitaine, il est temps! levons l’ancre!
Ce pays nous ennuie, ô Mort! Appareillons!
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons!
Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte!
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau!